Avec Bluehipsters (2014), une série de dessins grands formats, Tom Tirabosco s’est penché sur le phénomène très contemporain des hipsters. Au-delà des anecdotes et des clichés médiatiques, quel regard le dessinateur genevois porte-t-il sur ces jeunes barbus ?
Pourquoi cet intérêt pour les hipsters, Tom Tirabosco ?
Ce qui m’intéressait, dans ces travaux, était de fixer un style urbain intégrant une certaine ruralité dans son expression formelle et dans son habillement. Je trouve sympathique cette mode qui « bûcheronnise ». Cependant, mes hipsters résultent d’un croisement avec Barbe-bleue, qui derrière ses attributs virils cache une certaine féminité.
Quel modèle social représentent-ils pour vous ?
Ce sont probablement les nouveaux hippies interconnectés, férus de nouvelles technologies et qui ont complètement intégré les nouvelles donnes contemporaines que sont le développement durable, l’écologie et le retour à quelque chose de plus simple, y compris dans les relations humaines.
Comment reconnaît-on un hipster ?
Les médias l’ont bien défini : il a une trentaine d’années, une chemise à carreaux, une barbe et il est hyperconnecté. Il sort beaucoup, même si au départ le hipster était plutôt un Nerds sédentaire, bedonnant et plutôt négligé (d’où la barbe).
Que fait-il de ses journées ?
C’est un artiste, un graphiste, un designer. Il est sur les réseaux sociaux, à l’affût des premiers frémissements des nouvelles tendances. Il a du temps, car son travail et sa vie sociale tendent à se confondre.
Quelle est sa couleur, au hipster ?
Je dirais une sorte de bleu pétrole. Côté vêtements, un pantalon de travailleur, mais avec une petite touche plus sophistiquée. Ou alors un look de trentenaire avec un pantalon plutôt slim, une chemise vintage et quelques accessoires contemporains créés par les designers du moment. Hipsters, eux aussi.
Est-il bien armé contre la crise ?
Oui, car il a le sens du réseau et qu’il parvient très bien à surfer dans le système. Cependant, mes hipsters sont plutôt des personnages à la Jack London, en rupture. Pour les dessins, je suis parti de photos de survivalistes, des jeunes dont on sentait qu’ils étaient de notre époque, mais qui étaient retournés à une vie primitive, frugale. Des hommes des bois, en quelque sorte, avec un ordinateur en bois.
Le hipster est-il un bobo en plus jeune ?
C’est peut-être le bobo de demain, mais il est plus engagé dans une forme de débrouillardise, de survie, de décroissance. Même si c’est une fausse décroissance, car il prend quand même régulièrement l’avion et qu’il a toujours le dernier modèle de téléphone portable.
A-t-il le sens de l’autocritique ?
Oui. Il a compris que la technologie est un outil important, mais aussi qu’il faut manger bio, local.
En mixant technologie et authenticité, n’incarne-t-il pas un paradoxe irrecevable aux yeux des vrais hippies ?
Peut-être, mais il s’en sort par l’humour. Et c’est en effet assez drôle de singer cette ruralité si diamétralement opposée à son mode et cadre de vie réels. Il se montre parfaitement à l’aise dans le jeu de l’appropriation d’identités, du camouflage, ose des associations très improbables – un look de paysan du Yucatán et des iPads, par exemple – qui font de lui l’incarnation même du contemporain.
Ses rêves sont-ils technologiques ?
Pas sûr. Il a peut-être des rêves petit-bourgeois. Cela dit, les « vrais changements », c’est les hipsters qui les amèneront. Ils sont au centre de l’information, de ce qui se passe vraiment. S’il le faut, ils descendront dans la rue. Le hipster est plutôt un célibataire, hédoniste et très individualiste, mais il s’interroge.
Pour ses enfants ?
Ce n’est pas sûr qu’il en veuille : l’avenir est trop incertain.
(dessin @TomTirabosco)